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Beaune, XXe siècle... bientôt XXIe
! .
A
l'aube du troisième millénaire, les Hospices de Beaune constituent un ensemble
unique : l'Hôtel-Dieu, élément maître du patrimoine de la ville, ne joue plus comme
jadis son rôle d'accueil, mais demeure un fleuron de la Bourgogne.
A cette image s'ajoute celle des vignobles des Hospices (62 hectares). La vente des
produits des domaines assure à l'institution des revenus nécessaires à son entretien.
Elle maintient par là même une tradition séculaire de soins et de réconfort, qui se
traduit aujourd'hui par un complexe hospitalier performant, au cur de la Bourgogne.
Un patrimoine culturel.
Si le développement a peu à peu conduit à un changement de site d'accueil,
l'Hôtel-Dieu reste l'âme de la ville de Beaune. Le bâtiment, à l'exception de quelques
aménagements imposés par l'usage et le temps, n'a pas véritablement changé, et les
trésors accumulés au fil des siècles y sont pieusement conservés. S'il ne joue plus
aujourd'hui son rôle ancestral d'accueil pour les malades, l'Hôtel-Dieu demeure un site
touristique incontournable, ouvrant chaque année ses portes à plus de 400 000 visiteurs.
L'Hôtel-Dieu : "la gloire des pôvres"
Dans son uvre comme pour le bâtiment, Nicolas Rolin ne laissa rien au hasard :
l'Hôtel-Dieu se devait d'être un édifice exceptionnel. L'observateur avisé notera une
certaine ressemblance avec la magnificence des Hôpitaux du Nord, à savoir l'Hôtel-Dieu
de Valenciennes, l'hôpital Notre-Dame des Fontenilles et la Biloke de Gand. Des modèles
pour le ''Palais des Pôvres'' tel que le concevait son fondateur, qui opta pour la
surenchère. Plus beau, plus grand, l'Hôtel-Dieu de Beaune sera achevé en neuf ans,
mobilisant les artistes les plus prestigieux du pays des Flandres, associés à ceux du
vieux cur de la Bourgogne. Loin d'être passive, la population prêta son concours
à l'édification de ce chef-d'uvre de l'architecture gothique.
Formant un vaste rectangle, les bâtiments s'articulent autour d'une cour centrale. On y
distingue un puits, antérieur à la construction de l'édifice, dont la ferronnerie est
en soi un chef-d'uvre. Le bâtiment lui-même offre un singulier contraste :
austère vu de l'extérieur, afin d'éviter les convoitises, on le découvre à
l'intérieur baigné de lumière, les toits couverts de tuiles vernissées aux couleurs
chatoyantes. Brun, jaune, rouge et vert : la polychromie se joue des motifs géométriques
des toitures de l'édifice.
Fière comme au premier jour, la salamandre de fer qui orne le heurtoir de la porte
d'entrée en chêne chasse toujours la même mouche depuis cinq siècles. Fidèle
compagnon du temps qui passe, le carillon sonne toutes les heures, sans se soucier de
savoir qu'il n'y a plus qu'un office hebdomadaire à la chapelle. Guidé par le carillon,
le visiteur peut déambuler à son aise dans les salles de l'Hôtel-Dieu.
La Grande Salle des ''Pôvres'', aux dimensions majestueuses (46,30 m de long et 16 de haut), est
soutenue par une voûte en carène de navire. Elle abrite les couches des malades, toutes
couvertes de rouge, et orientées vers la chapelle afin que les pensionnaires puissent
suivre les offices dans les meilleures conditions possibles. En sortant de la
pièce, l'il est immanquablement attiré par le remarquable Christ aux liens du XVe
siècle, sculpté dans un seul et même fût de chêne. La grande salle a fermé ses
portes en 1952, mais l'Hôtel-Dieu est demeuré un refuge pour les indigents
jusqu'en 1971.
La salle Sainte-Anne, fermée au public, accueillait
pour sa part les malades les plus aisés. On y trouve une tapisserie aux couleurs vives,
portant les armes et la devise des fondateurs.
La salle Saint-Hugues,
conçue par un mécène beaunois nommé Hugues Bétault, est le siège de l'infirmerie.
Les différents aménagements témoignent de l'évolution du confort apporté aux malades
: tablettes pour les effets personnels des malades, cordes de maintien, etc.
La salle Saint-Nicolas permettait de préparer les
mourants à entrer dans l'au-delà. En 1658, Louis XIV, de passage aux Hospices, trouva
inconvenant la promiscuité entre hommes et femmes dans la même pièce. Le souverain
accorda donc sur le champ une subvention pour aménager une autre pièce, et la grande
salle fut dès lors réservée à la gente masculine. La salle Saint-Nicolas présente
désormais au public une exposition permanente sur l'histoire du bâtiment.
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La cuisine, pour sa part, n'est pas la
moins surprenante des salles du bâtiment : on peut y voir le malicieux Messire Bertrand
tourner inlassablement sa broche au-dessus du feu depuis 1698. Le secret d'une telle
longévité ?
Notre Bertrand est un automate, oeuvre de l'horloger De Fresne, un ingénieux enfant
de la cité bourguignonne.
Le visiteur peut également admirer les ustensiles de cuivre, dont faisaient usage les
résidents de l'Hôtel-Dieu.
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Enfin, la grande salle Saint-Louis
construite à la fin du XVIIe siècle à l'emplacement
d'une grange, servait elle aussi à l'accueil des malades. Elle rassemble aujourd'hui en
son sein une partie des collections de mobiliers, tapisseries et objets d'art des Hospices
de Beaune. En son centre, la fontaine de marbre est l'ultime témoignage de sa vocation
d'origine : offrir aide et protection aux plus démunis.
Superbe édifice, l'Hôtel-Dieu est peut-être autant écrin que bijou : plus de 5 000
objets de collection y sont conservés dans les règles de l'art.. Ces pièces sont
réparties à parité en mobilier (lits, coffres, armoires...) et objets divers
(tapisseries, tableaux, sculptures, etc...). Rien d'étonnant, eu égard à la diversité
des provenances : certains biens proviennent de la fondation elle-même, d'autres du
fonctionnement de l'hôpital (achat de fournitures), d'autres enfin de legs de
bienfaiteurs ou de malades. La richesse artistique des Hospices ne serait pas complète
sans les tapisseries et les tableaux, tous d'une rare beauté. Le plus célèbre d'entre
eux est sans conteste le "jugement dernier", célèbre polyptyque de Roger Van
Der Weyden. Nicolas Rolin considérait celui-ci comme le plus grand peintre flamand après
le décès de Jan Van Eyck.
Le polyptyque à la loupe
Oeuvre magistrale, le polyptyque est empreint d'un profond symbolisme, en parfaite
adéquation avec les notions de salut, de jugement céleste telles qu'on les concevait au
XVe siècle. Installés au-dessus de l'autel dans la grande salle des
pôvres, les neuf volets du tableau inondent de lumière les visages des malades, chaque
dimanche et jour de fête. On y voit, dans un ciel étincelant de dorures, le Christ
ressuscité entouré des saints et des apôtres. Sous leurs pieds, dans les crevasses
asséchées d'une terre brune, les hommes rappelés à la vie s'adressent à leurs
"juges".
Au centre du retable, le Christ siège, imperturbable, assis sur l'arc-en-ciel de
l'Alliance.Vêtu d'un ample manteau écarlate, il forme un triangle invisible avec deux
intercesseurs incontournables : à sa droite sa mère, Marie, dont le visage reflète la
sérénité, et, à l'autre extrémité, implorant, voire tourmenté, Jean-Baptiste, son
précurseur.
Le Christ est secondé par l'archange, avec lequel il forme un axe vertical reliant la
terre au ciel. L'archange, en l'occurrence Saint-Michel, est également l'une des
extrémités d'un autre triangle, celui des anges, dont quatre, de part et d'autre
du Christ, portent les instruments de la passion.
Sur la terre, hommes et femmes sont répartis des deux côtés du Christ : à sa droite,
les purs se préparent à gagner le paradis où les attend un ange bienveillant.
A l'opposé, les pêcheurs, tous ceux et celles qui refusent de suivre la parole du
Christ, s'enfoncent dans les ténèbres de l'Enfer, confirmant ainsi la phrase "Allez
loin de moi, maudits''.
En semaine, le retable était fermé. Contrastant singulièrement avec la clarté des
volets intérieurs, les panneaux visibles représentaient, outre la vierge Marie et les
saints patrons, les deux donateurs, exposés complaisamment au regard des indigents.
L'histoire tumultueuse du retable le fit disparaître durant la révolution, puis revenir
à Beaune, enfin scié pour permettre aux spectateurs d'embrasser d'un même regard les
deux côtés du chef-d'uvre.
Le retable n'est plus désormais exposé en salle des Pôvres, mais dans une pièce qui
lui est consacrée, juste à côté de la salle Saint-Louis.
Véritable "compilation" d'uvres d'art, l'Hôtel-Dieu est sans conteste un
élément incontournable du patrimoine français et le symbole d'une région
attachée à ses racines et à ses valeurs.
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